Pour cette 14ème édition des Reclusiennes, Bifurquer nous invite à réfléchir sur la liberté et le déterminisme, sur la question morale des trajectoires, au rôle de l’incalculable.
Quand l’économique ne prend en compte que ce qui est quantifiable, comment valoriser la contribution, l’échange… l’humain ?
Comment se fait le choix, contraint et subi ou choisi et construit?
L’ambition de cette réflexion sera de partir de la situation actuelle pour dessiner les futurs possibles.
Mercredi 16 juillet
Soirée. Théâtre "En-dehors"
Jeudi 17 juillet
Soirée. Repas de rue et concert
Vendredi 18 juillet
Soirée. Cinéma, film "No other land"
Samedi 19 juillet
Soirée. Théâtre "Le Risotto de Stuttgart" par Hildebrandt
« Le changement ne peut s’accomplir que par une rupture brusque, c’est-à-dire par une révolution » nous dit Élisée Reclus. Cependant, convaincu de la nécessité d’une révolution, sa pensée évolue au fil du temps, jusqu'à affirmer que la révolution ne peut sans faire sans évolution préalable. Évolution et révolution sont deux mots souvent associés dans ses brochures de réflexion (Évolution et révolution, 1880 ; Évolution, révolution et l’idéal anarchique, 1898). Il écrit ainsi, en 1898, « C’est dans les têtes et dans les cœurs que les transformations ont à s’accomplir avant de tendre les muscles et de se changer en phénomènes historiques ». Pour lui, « la révolution sociale anarchiste est perçue jusqu’au bout comme une réalité en voie d’accomplissement ».
À l’occasion de l’édition 2022 des Reclusiennes (Évadez-vous !), nous avions accueilli de jeunes gens qui avaient fait parler d’eux en s’appelant les "Désertheureux-ses" et qui ont initié le mouvement des "Bifurqueurs". Ils avaient collectivement refusé de recevoir leur diplôme de fin d’étude d’Agro-Paris-Tech pour exprimer publiquement leur volonté de choisir une autre voie que celle qui leur était tracée par l’institution. En « bifurquant », ils revendiquaient la possibilité d’explorer, de rechercher, d’imaginer, d’inventer un futur qui soit le leur, loin des diktats mortifères et sans imagination du « There is no alternative ». À leur suite le mot bifurquer s’est imposé comme l’emblème d’une écologie militante qui ne se contenterait pas d’un vulgaire verdissement des pratiques, comme en témoigne la publication récente de plusieurs ouvrages à ce sujet.
Mais bifurquer tel que nous souhaitons l’explorer ne se limitera pas à l’injonction d’un choix qui ne souffrirait pas d’alternative. Choix collectif ou choix individuel, ces décisions ne sont pas que de raison. S’y invitent le hasard et le destin (« Jamais un coup de dés n’abolira le hasard », Mallarmé), la fatalité et l’accident, parfois la main du diable, puisque la fourche d’où bifurquer tire son origine est l’instrument préféré du Malin. Sans doute pour nous apprendre à douter et piquer notre curiosité pour ne pas nous satisfaire des pensées toutes faites.
Pour Ilya Prigogine, philosophe, physicien et chimiste (prix Nobel de chimie 1977) connu pour ses travaux sur les systèmes complexes, «Notre univers a suivi un chemin de bifurcations successives : il aurait pu en suivre d’autres. Peut-être pouvons-nous en dire autant pour la vie de chacun d’entre nous. » (Ilya Prigogine, La fin des certitudes). Face à une situation, entre conflit et bifurcation, il existe un point d'instabilité autour duquel «une perturbation infinitésimale suffit à déterminer le régime de fonctionnement macroscopique du système». C’est là où s’insinue un certain degré d’indéterminisme, suffisamment pour rendre opérantes les idées de choix et de décision. Prigogine cite Lucrèce à cet égard : « si l’esprit n’est pas régi en tous ses actes par la nécessité interne, s’il n’est pas, tel un vaincu, réduit à la passivité, c’est l’effet de la légère déviation des atomes en un lieu, en un temps que rien ne détermine » (Lucrèce, De la nature des choses, II, 289-93).
Fidèles à la tradition d’éducation populaire dans laquelle elles s’inscrivent, Les Reclusiennes font cohabiter contributions savantes et expériences du quotidien pour favoriser un échange toujours souhaité entre les différents participants, public et conférenciers Bifurquer nous invite à philosopher sur la liberté et le déterminisme, sur la question morale des trajectoires (en lien avec le genre, la finance…).